Rencontre avec Julie Dungelhoeff : une leçon de journalisme de terrain
Le 2 décembre dernier, le lycée Brizeux a été le théâtre d’une rencontre fort intéressante entre tous les élèves de première en HGGSP et la journaliste, grand reporter à France 24, Julie Dungelhoeff, orchestrée par Delphine Le Floc’h, enseignante d’histoire-géographie, et ses collègues Bruno Plouzennec et Thierry Jacques. Cette séance s’est révélée particulièrement enrichissante et pertinente pour l’approfondissement du thème « S’informer en temps de guerre » du programme d’HGGSP.
Un reportage qui résonne : « donner une voix aux sans-voix »
Julie Dungelhoeff, connue pour son travail de reportage dans des zones de conflit, a partagé avec les élèves son expérience sur le terrain, notamment à travers son documentaire primé « Libye : le piège infernal ». Son récit a permis de plonger les lycéens dans les réalités du journalisme en temps de guerre, abordant les défis de la vérification des informations, l’éthique journalistique, et les dangers physiques et psychologiques rencontrés.
Julie Dungelhoeff a présenté et discuté en profondeur de ce documentaire, qui a été récompensé par le 2e prix au Prix Bayeux des correspondants de guerre en 2020 et par un « One World Media » award. Ce reportage, réalisé avec Catherine Norris Trent et Abdallah Malkawi, capture la désolation et les défis des migrants pris au piège de la guerre civile en Libye. A l’initiative d’un des élèves, Christopher, l’échange a exploré les thèmes de la migration, des droits humains, et des conditions de vie dans un pays déchiré par la guerre. Julie a souligné l’importance de « donner une voix aux sans-voix, de montrer la réalité brute des conflits et de l’impact sur les populations civiles ». Elle a aussi abordé les défis journalistiques de la couverture de telles zones, où la sécurité, l’accès à l’information, et l’éthique du reportage sont constamment mis à l’épreuve.
Titres choisis par les élèves pour leur compte-rendu
de la rencontre avec Julie Dungelhoeff
Eclairer le programme d’HGGSP
L’intervention de la journaliste était parfaitement alignée avec le programme de HGGSP, et en particulier avec le thème 4 de la spécialité : « S’informer : un regard critique sur les sources et les modes de communication ». Les élèves ont pu explorer comment l’information est collectée, analysée, et diffusée dans des contextes de guerre, l’importance de la contextualisation historique et géopolitique, et les biais potentiels dans les récits médiatiques. Ce dialogue, nourri de multiples questions préparées en amont par les élèves, leur a offert une compréhension plus nuancée des crises migratoires et des guerres civiles, non pas à travers des livres d’histoire, mais par le biais d’un récit vivant et poignant. Cela a renforcé leur capacité à analyser les informations avec un regard critique, à apprécier la complexité des situations internationales et à reconnaître l’importance de la narration dans le journalisme. Pour les adolescents, cet échange a constitué une fenêtre sur le monde réel du journalisme d’investigation et de reportage dans des zones de conflit. Ils ont appris comment un reportage peut non seulement informer mais aussi provoquer des changements dans la perception publique et dans les politiques internationales. Julie a partagé des anecdotes personnelles, des moments de tension, et les histoires humaines qui l’ont marquée au cours de ce travail. Et plus particulièrement, lorsqu’elle a couvert le séisme de 2023 en Turquie qui s’est produit dans la région de Gazantiep. Répondant à Jean ou à Elouan, qui l’interrogeaient sur ses peurs, sur les dangers, sur les menaces qu’elle a pu subir, elle a reconnu qu’elle était inquiète « dès qu’elle quittait sont appartement ». Elle s’est ainsi retrouvée « face à des enfants-soldats, des jeunes de 16-17 ans, qui manient les armes depuis qu’ils sont jeunes, des gamins immatures, donc un peu incontrôlables. Mais cette peur ne me paralyse pas. Elle me permet au contraire de rester concentrée ». Elle n’a pas hésité à évoquer la nécessité récurrente, dans certains pays, de tourner les images avec un simple i-phone pour éviter de se faire remarquer. « Les autorités et armées locales (en Cisjordanie, Iran, Libye,…) se montrent souvent méfiantes envers les journalistes, persuadées qu’elles ont affaire à des espions ». Malwenn a ainsi pu rebondir sur la question de son camarade, en cherchant à savoir quel pouvait être l’impact psychologique de telles missions dangereuses. « Certains moments sont plus difficiles que d’autres », lui a répondu la grand reporter. « Je filme d’autant plus, la caméra constituant une sorte de filtre. Cela me permet d’être moins impactée. Ce fut notamment le cas lors du tremblement de terre en Turquie qui a fait près de 20 000 morts. Certains de mes confrères sortent traumatisés de ce genre d’expérience, tombent en dépression. De mon côté, j’effectue un débrief avec un psy spécialisé pour éviter tout choc post-traumatique », a-t-elle confié aux adolescents.
Quelques jours à peine après son échange avec les lycéens de Brizeux, Julie partait en mission en Syrie pour couvrir la « chute de Bachar al-Assad ». (capture d’écran, 9 décembre 2024)
« J’aime les gens. C’est l’empathie qui m’a poussée à exercer ce métier ».
Certains échanges ont aussi porté sur les motivations de Julie, Maëva souhaitant par exemple savoir ce qui lui « a donné envie de faire ce métier ». Sa vocation est née, lorsqu’elle avait… 6 ans et qu’elle a découvert à la télévision un reportage de France 2 sur la chute du Mur de Berlin. Ainsi prend racine son souhait de « raconter l’histoire qui s’écrit en direct à l’autre bout du monde, de raconter la vie des gens ». « Mais n’est-ce pas plus difficile de remplir cette mission quand on est une femme ? » a cherché à savoir Naïg. « Bien sûr ! », lui a rétorqué Julie, « dans certains pays, ils ne s’attendent même pas à voir des femmes journalistes. Il faut adapter sa tenue vestimentaire. Ainsi, en Somalie, j’étais couverte des pieds à la tête. On peut subir par ailleurs plus d’agressivité, être soumise à des risques d’agressions sexuelles. Mais cela peut aussi s’avérer déstabilisant pour nos interlocuteurs. » « Y a-t-il, à l’inverse des missions que vous n’avez pas aimé accomplir ? » lui a demandé Lémi. C’est un non très spontané qui est sorti de la bouche de la journaliste. « Bien sûr, parfois je n’ai pas envie d’y aller, pas envie de quitter ma famille surtout, je suis fatiguée, découragée, démotivée, mais je n’ai pas de souvenir d’un reportage que je n’ai pas aimé faire. » Les questions se sont ainsi enchaînées, posées par Fatouma, Alix, Lorig, Jean, Christopher, Emma, Mathys et bien d’autres encore.
Articles comptes rendus rédigés par les élèves de 1HGGSP3
La rencontre avec Julie Dungelhoeff au lycée Brizeux s’est révélée être une pierre angulaire dans l’enseignement du programme HGGSP. Elle a mis en lumière l’importance d’une éducation aux médias et à l’information (EMI) et à l’esprit critique, où l’analyse de l’information en temps de guerre devient une compétence-clé. Leçon sur la puissance du reportage, l’engagement journalistique et l’importance de la vérité dans les médias, cette séance a été un succès, démontrant la valeur de l’interaction directe avec des professionnels du terrain pour une compréhension approfondie du monde contemporain. Pour les élèves, cette rencontre a constitué une occasion de connecter leur apprentissage théorique avec les réalités humaines et les défis éthiques du journalisme : elle illustre parfaitement comment l’éducation et l’information se croisent pour former des citoyens conscients et engagés. Pour ces 75 élèves, cette expérience ne se résume pas à une simple leçon d’HGGSP mais à une immersion dans le flux vivant de la géopolitique mondiale, où chaque événement est une leçon d’humanité, de résilience et de l’incessante quête de liberté. Et où les défis posés par l’IA, les « faits alternatifs », la désinformation, sont immenses. Mais, comme l’a souligné Julie Dungelhoeff, « je refuse de capituler. Il faut continuer à documenter ce qu’il se passe dans le monde, donc aller sur le terrain. » Message reçu cinq sur cinq ! Une demi-douzaine de lycéens ont déjà postulé pour effectuer un stage à la rédaction parisienne de France 24…